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En Afrique, on pense à demain, mais on n’oublie pas l’histoire


Invité au Salon international du livre d’Alger, l’écrivain suédois le plus connu dans le monde ne vit pas dans sa tour d’ivoire. Après avoir exploré la part sombre de la société suédoise à travers les enquêtes du commissaire Kurt Wallander et monté un théâtre au Mozambique, il s’engage pour la préservation de la mémoire des sidéens en Afrique, s’embarque pour Ghaza au péril de sa vie et maintient sa colère contre ce monde «terrible».



-Qu’est-ce que cela vous procure de vivre entre la Suède et le Mozambique ?

C’est très compliqué comme question. J’étais jeune auteur quand j’ai fait mon premier voyage en Afrique, il y a de cela quarante ans. Je voulais quitter l’Europe pour voir le monde sous une nouvelle perspective. Et comme le billet d’avion le moins cher à l’époque était à destination de l’Afrique de l’Ouest, je l’ai pris. Dans cet avion, aucun des appareils de navigation ne fonctionnait ! Après bien des voyages ensuite, mes expériences en Afrique ont fait de moi un meilleur Européen, car je pouvais voir le monde des deux côtés avec la distance qu’il faut.
Comme un peintre qui s’éloigne de quelques pas de son tableau pour avoir une meilleure vue de son travail, avant de s’y pencher ensuite de plus près. Ce que j’ai pu voir, avec cette distance, c’est ce qui marche ou pas chez moi en Europe. Et, 40 ans plus tard, je viens en Afrique pour cette même raison. En plus, il y a tellement à apprendre de la culture africaine, des cultures africaines, car il y a plusieurs Afriques !


-Qu’est-ce qui ne marche pas en Europe ?

Ce qui marche, c’est le système politique démocratique. Il n’est pas parfait, mais ça marche. Maintenant, ce qui ne marche pas, c’est la façon dont on traite les émigrés. Mais aussi le fait que nous n’avons pas une bonne relation avec l’histoire. Tout le monde parle de demain : demain j’achèterai une nouvelle voiture, demain je prendrai une nouvelle femme… En Afrique, les gens pensent à demain, mais ils n’oublient pas leur histoire.


-Tout est question de langage alors ?

Quand je demande à un ami en Suède comment va sa fille, il fait un geste avec la main droite pour me signifier qu’elle atteint cette taille-là, la paume de la main vers le bas. Au Mozambique, on me fera le geste avec la paume de la main vers le haut : elle grandit. Le geste européen c’est «stop». En Afrique, c’est «elle grandit». C’est pour cela que, comme écrivain, on doit bien comprendre le langage, le langage du corps et tous les langages… On doit être très respectueux des mots. Pour moi, la pire des choses dans ce monde terrible est que des millions d’enfants ne savent ni lire ni écrire. Ce n’est pas seulement un scandale. C’est une honte ! On aurait pu régler ce problème, mais cela continue… Parce que lire et écrire sont les outils les plus importants pour nous réaliser en tant qu’êtres humains. Je suis en colère quand je constate cela, donc j’essaie de monter des projets, des fonds, parler autour de moi.


-La mémoire, les livres : vous êtres très attaché à ces deux univers…

Le cliché en Europe est que, en Afrique, il n’y a pas d’histoire écrite. J’ai écrit beaucoup d’articles pour démontrer qu’il s’agit d’un mensonge. A Tombouctou, au Mali, j’avais entre mes mains des manuscrits datant de plusieurs siècles, traitant de religion, mais aussi de sciences, d’astronomie, de médecine… Personnellement, aller à Tomboutou c’est comme faire un pèlerinage à La Mecque ! Et je prépare un projet avec mon ami musicien malien, Salif Keita, autour de ce patrimoine.


-Vous êtes également à l’origine de l’ONG ougandaise Memory Books, sorte d’atelier d’écriture permettant à des malades du Sida de laisser à leurs enfants un témoignage écrit de leur vie...

L’Afrique subsaharienne souffre énormément du Sida qui décime les familles et laisse beaucoup d’orphelins. Des enfants qui vivent sans la mémoire de leurs parents. Or, il est difficile de se connaître sans connaître ses parents. En Ouganda, j’ai visité un petit village, pas loin de Kampala la capitale, très touché par le Sida. J’y ai rencontré Aïda, 12 ans, orpheline. Elle voulait me montrer quelque chose qu’elle tenait dans sa main : un petit livre avec, entre ses pages, un papillon bleu mort… (pause). J’ai toujours du mal à raconter cette histoire… Aïda m’a dit que sa mère aimait les papillons bleus. J’ai pleuré, parce que c’était le meilleur livre que j’ai lu de ma vie. Aïda connaissait ainsi beaucoup de choses sur sa mère morte du Sida.
Elle a trouvé sa propre identité grâce à ce lien, à ce livre. Cette petite fille m’a montré que dans ce monde terrible, il y a aussi la résistance. Je suis toujours en contact avec Aïda : elle a aujourd’hui 22 ans, elle s’occupe d’un poulailler et garde toujours son livre. Vous aussi, vous parlerez de l’histoire du papillon bleu après notre rencontre. C’est ce qu’on peut déjà faire... Et c’est cette rencontre avec Aïda qui a fait naître le projet Memory Books, actuellement présent dans plusieurs pays.


-A chaque fois que vous parlez du monde actuel, vous le qualifiez de «terrible»…

Regardez autour de nous. Depuis qu’on a commencé l’interview, presque mille enfants sont morts du malaria ! Aucun d’eux n’aurait dû mourir, mais les compagnies pharmaceutiques ne veulent pas investir pour les sauver. Nous vivons dans un monde où ces problèmes auraient dû être réglés depuis longtemps. C’est un monde terrible où les gens souffrent, sans eau, sans nourriture…   


-C’est cette même colère qui vous a conduit cette année à participer à la flottille humanitaire pour Ghaza...

Ils ont essayé de me tuer. Mais si nécessaire, je reviendrai. Je n’ai pas peur. J’ai vu l’apartheid en Afrique du Sud et je constate que c’est le même système qu’adopte Israël qui traite les Palestiniens comme des citoyens de seconde classe. C’est exactement ainsi qu’étaient traités les Noirs sous l’apartheid. Je me suis battu contre ce système en Afrique du Sud, c’est pour cela que je suis solidaire des Palestiniens. Et je précise que c’est d’abord une question politique. J’ai beaucoup d’amis juifs en Suède, en Europe et en Israël. Mais je suis en colère quand on m’accuse d’antisémite, alors que j’ai toujours combattu le racisme.


-Où en êtes-vous avec Kurt Wallander ? Vous vouliez vous débarrassez de lui ? Hante-t-il toujours vos cauchemars ?

J’ai écrit le dernier livre avec ce personnage. Il ne va pas mourir, mais quelque chose va lui arriver… La vie est courte, et on peut m’accuser de beaucoup de choses sauf de fainéantise, donc je travaille beaucoup, sur d’autres thématiques, sur d’autres livres.
Henning Mankel

Henning Mankel sila 2010

Adlène Meddi
Journal El Watan
 
 
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